Je ne sais pas qui le premier a parlé de distanciation sociale, mais je sais que tout le monde s’est mis au pas de parade. Après la pause, je dirai à qui voudra m’entendre, que seule une distance physique se mesure en mètres et en pieds. J’ajouterai que la véritable menace qui nous guette à la sortie de cette pandémie, c’est justement ça… la distanciation sociale.

Théorie développée par le Sociologue allemand Georg Simmel, la distanciation sociale est le résultat de politiques et de comportements conscients ou inconscients qui confèrent un statut social inférieur aux individus ou aux groupes considérés comme représentant un risque pour nous, notre communauté, notre nation. Elle ne se calcule pas avec une règle. Non. C’est notre perception qui distingue l’auguste du trivial, le précieux du quelconque, le pur de l’impur.

C’est le jugement des autres qui vous classe dans cette intervalle qui existe entre les exclus et l’élite, ceux que nous catapultons dans les hauteurs par le prestige qu’ils acquièrent en fonction de l’idée que nous nous faisons d’eux. Inutile de vous dire que la différence entre l’idole et le guignol ne se mesure pas avec un galon, ni un chevron. Non. Ce n’est pas le nombre de pieds qui les sépare qui est l’indicateur du fossé qui existe entre le bon grain et l’ivraie, l’indispensable et le déplorable, le prodigieux et le scrofuleux. Non. La distanciation sociale est un virulent symptôme de la peur de l’autre.

Inévitable à la sortie d’une pandémie, avec ou sans vaccin, c’est la peur de l’autre, surtout quand elle se transforme en dédain, qui est le carburant de la distanciation sociale. Elle s’exprime par le regard craintif qui est porté sur les personnes, les localités, les communautés et les sociétés lourdement affectées. Elle se consolide par l’attribut des épithètes contaminés, infectés et infestés. Dans le contexte de maladies transmissibles, de telles stigmates sont ouvertement chargés de rejet et de honte, d’indignité et de déshonneur.

C’est justement pour ça que je dirai aux clairvoyants qui avaient proposé un « passeport immunitaire » pour favoriser les déplacements des personnes qui auraient développé une protection contre la Covid-19, qu’il s’agit d’un projet discriminatoire dont l’absurdité se résume à une invitation implicite à se faire contaminer pour obtenir ce privilège, pour mériter le standing qui démarque des autres.

Pire encore, ces bien-pensants ne réalisent pas qu’en donnant des passe-droits aux uns, ils pestifèrent les autres. Moi qui croyais que l’histoire nous avait appris qu’on n’estampille pas les gens, qu’on ne tatoue pas des chiffres sur leurs bras. Un jour, je trouverai les mots pour leur dire que la distanciation sociale c’est la création, par des distinguos, de différentes catégories de citoyens, ce qui est inadmissible en démocratie.

C’est maintenant qu’il faut parler de distanciation sociale parce qu’après cette pandémie, l’autre sera un autre que l’autre qui, hier, nous faisait peur. Il n’aura pas de sexe, pas d’orientation sexuelle, pas d’âge, pas de religion, pas de classe sociale… L’immonde ne viendra pas de l’autre bout du monde. L’autre sera tout le monde, tout porteur potentiel de la maladie. Vous ce matin, moi demain.

C’est maintenant qu’il faut parler de cohésion sociale puisque vous aussi serez l’autre de quelqu’un, le pestilentiel de qui on voudra prendre ses distances à la moindre toux, à la moindre fièvre, au prochain éternuement.

C’est maintenant, plus qu’auparavant, qu’il faut parler d’harmonie sociale, avant que la peur qui s’est installée dans les entrailles des uns, ne creuse la distance qui déjà, nous désolidarisait des autres.

Oui. C’est le temps de parler de notre contrat social si nous ne voulons pas que le prochain normal soit plus bestial, plus brutal… plus anormal que les précédents.