Le 31 mai 2017, John F. Kelly, Secrétaire du Department of Homeland and Security (DHS), a débarqué à Port-au-Prince pour, entre autres, aviser Jovenel Moïse de se préparer à recevoir ses 54 000 concitoyens, bénéficiaires du Temporary Protected Status (TPS). Comme si ça allait changer quelque chose, le Président Haïtien lui a demandé de prolonger le TPS de 18 mois. Au fond, cette rencontre a déclenché la phase finale d’une autre catastrophe haïtienne, d’une autre calamité pour la dignité humaine.

En 2017, aux États-Unis, des ressortissants du Népal, du Soudan, du Nicaragua, de la Syrie, de la Somalie et du Yémen, bénéficiaient du TPS. Ce programme humanitaire s’applique uniquement aux citoyens de pays en guerre, en conflits, frappés par des épidémies ou des catastrophes naturelles qui, au moment des évènements, séjournaient aux États-Unis.

Près de 30 ans après le passage de Mitch (1990), les conséquences de cet ouragan restent encore le justificatif pour les Salvadoriens qui, avec plus de 195 000 personnes, forment le plus fort contingent de bénéficiaires du TPS. Ils sont suivis des Sud-soudanais avec 75 200 ressortissants. Les Haïtiens occupent le 3e rang, ex-aequo avec les Honduriens.

Entre 1997 et 2004, les visiteurs du Montserrat ont bénéficié du TPS en raison des éruptions volcaniques qui avaient affecté la qualité de vie sur l’île. Pendant la première Guerre du Golfe, les 292 Koweitiens qui étaient de passage aux États-Unis, ont ainsi été protégés entre mars 1991 et janvier 1992. Rien n’indique que ces personnes aient été tentées par l’illégalité ou par l’exil vers le Canada.

Après des années de guerre et la crise de l’Ébola, jugeant que la situation était revenue à la normale, le 21 mai 2017, le gouvernement américain a révoqué le TPS qu’il avait accordé à 930 Guinéens, à 2 160 Libériens et à 1 180 Sierra-léonais. Ils ont 6 mois pour vider les lieux. Là encore, on ne parle que de quelques centaines de personnes. Et c’est justement le poids du nombre qui vient compliquer les choses pour les Haïtiens.

Chaque année, pour tous les ressortissants de tous les pays, le nombre de bénéficiaires du TPS diminue. C’est logique puisque leurs enfants, bénéficiant du Droit de sol, obtiennent la nationalité américaine à la naissance. Par ailleurs, au-delà des décès, le US Citizenship and Immigration Services (USCIS) dit que certaines personnes immigrent vers un autre pays ou retournent «chez-eux». L’agence avance qu’il y a aussi ceux et celles qui remplissent les conditions pour obtenir un autre statut, dont celui d’étudiant ou de résident permanent.

Par une combinaison de tous ces facteurs, entre 2013 et 2015, les Haïtiens sont passés de 58 000 à 54 000 bénéficiaires. Dans cette réduction de 7%, sont comptabilisés les 416 décès survenus durant l’année-calendrier 2014. Si la tendance des décès devait être la même pour 2013 et 2015, il faudrait conclure que pour cette période, c’est seulement 2 750 Haïtiens couverts par le TPS qui auraient réussi une certaine forme de progression sociale.

Cette données est frappante. Elle est inquiétante. Elle explique tout. Elle dit tout sur la composition sociodémographique du contingent haïtien et elle confirme l’incapacité d’accueil de leur pays de provenance. En fait, la diminution réelle dans le contingent haïtien est de 5% tandis qu’elle est de 29% pour les Salvadoriens, de 42% pour les Honduriens et de de 47% pour les Nicaraguayens.

Pour ces Haïtiens, tout a débuté 9 jours après le tremblement de terre. Le 21 janvier 2010, Janet Napolitano qui était la Secrétaire du DHS sous le gouvernement Obama, a accordé le TPS à ceux qui étaient aux États-Unis avant le 12 janvier 2010. Cette protection s’appliquait aux personnes qui avaient un visa de séjour temporaire mais aussi aux Haïtiens sans statut, des illégaux qui a priori, étaient déjà des «déportables» et des «expulsables».

Le DHS avait rappelé que ce programme n’est ni une formule de régularisation pour les légaux et encore moins une amnistie pour les illégaux. Paradoxalement, CNN rapportait le 23 avril 2010, que 140 Haïtiens avaient été arrêtés à la frontière entre le Québec et le Vermont. Ces illégaux qui avaient fui les États-Unis tentaient d’y retourner pour pouvoir profiter du TPS.

Après plusieurs prolongations de statut, en avril 2017, le directeur du USCIS, James McCament, a déterminé que, malgré la crise du choléra et le passage de l’ouragan Mathew, la situation en Haïti avait progressé et que le moment était venu pour retourner dans leur pays celles et ceux qui bénéficiaient de cette protection temporaire. Pour donner aux ressortissants haïtiens le temps de se préparer, la date limite des départs a été fixée au 22 janvier 2018.

Comme il fallait s’y attendre, lors de sa rencontre avec John F. Kelly, Jovenel Moisie disait que le retour massif des ressortissants haïtiens ferait augmenter instantanément le niveau de pauvreté, ce qui ramènerait le pays dans le contexte pour lequel le TPS avait été accordé aux Haïtiens. Et comment!

Selon les données publiées par la Banque de la République d’Haïti (BRH), les importations de produits alimentaires sont passées de 483 millions de dollars en 2009 à 751 millions de dollars en 2016. Conséquences de la faible production agricole, ces importations représentent près de 30% du total des importations annuelles. Effectivement, Haïti est un pays pauvre qui s’appauvrit parce qu’entre autres, il est incapable de trouver les moyens pour nourrir ses habitants.

L’économie d’Haïti est basée sur l’aide humanitaire dont je n’ai pas fini de démontrer l’inefficacité et l’inutilité. Les dons internationaux représentent 9% du PIB. Mais, mine de rien, les 54 000 bénéficiaires du TPS contribuent aux transferts de la diaspora qui, avec 1,5 milliard de dollars américains, produit 18% du PIB.

Cela dit, j’affirme sans retenue, que garder le plus d’Haïtiens, le plus longtemps possible et le plus loin possible de leur terre natale est une bénédiction pour une économie nationale estropiée et ce même si par effet boomerang, les transferts de la diaspora sont dépensés dans les économies voisines pour, entre autres, importer la nourriture que le pays est incapable de produire.

Pour compléter la catastrophe, Haïti a un déficit avec tous ses partenaires commerciaux. Pour cause, environ 90% de ses exportations est composée de produits du textile destinés au marché américain. La totalité de ces produits à faible valeur-ajoutée, est manufacturée dans des Ateliers de misère.

Quand Jovenel Moïse a supplié John F. Kelly de prolonger le TPS, il a confirmé que son prédécesseur, Michel Martelly, ses acolytes tout comme ses adversaires, plutôt que de proposer un plan de développement, avaient, depuis le tremblement de terre, choisi d’aveugler avec des projets hautement cosmétiques, des discours largement creux, des propos profondément niais, des illusions étroitement vagues et leurs polémiques platement destructives.

Quand Jovenel Moïse a demandé la prolongation du TPS, il a confirmé l’échec de la classe politique haïtienne qui, après le tremblement de terre a été incapable de saisir les opportunités de développement. Il a, malgré lui, affirmé que plus de 7 ans après le séisme, la classe économique de son pays s’est affairée à rater toutes les opportunités de création de la richesse et des emplois qui logiquement l’accompagne.

Si Jovenel Moïse a demandé la prolongation du TPS, c’est parce que son prédécesseur dont je m’acharne à démontrer l’illégitimité, lui a légué une administration qui est incapable de faire semblant d’articuler un faux-semblant de plan de réintégration sociale et économique pour ses exilés.

Parmi les milliers de personnes qui, à l’été 2017, se sont présentées aux frontières du Canada, il y a des centaines de bénéficiaires du TPS qui poursuivront leur route vers l’échec. Le Consulat d’Haïti, comme réponse à l’arrivée des migrants à Montréal, a tout simplement éteint les lampions. L’Ambassade d’Haïti au Canada, premier responsable pour accompagner ses citoyens, est, depuis le début des évènements, abonné aux absents.

Puisqu’il faut le rappeler, ajoutons que le statut de réfugié est accordé uniquement en fonction du risque de persécution. La majorité des Haïtiennes et des Haïtiens qui se sont présentés aux frontières canadiennes sont des exilés économiques qui échoueront à démontrer qu’ils sont persécutés par Donald Trump ou qu’ils le seront par Jovenel Moïse en raison de leur ethnie, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques.

S’il est vrai que l’éventuelle déportation des Haïtiens s’inscrit dans la rhétorique anti-immigrante et raciste de Donald Trump, je suis obligé, bien malgré moi, par honnêteté intellectuelle, d’admettre que jusque-là, le Président américain n’a fait que leur demander de respecter le contrat qu’ils avaient signé avec le gouvernement de Barack Obama.

Mais, pour une raison quelconque, tout le monde semble avoir oublié que la majorité des bénéficiaires du TPS sont des «déportables» et des «expulsables» qui, contrairement aux Salvadoriens, aux Honduriens et aux Nicaraguayens n’avaient jamais manifesté l’intention de retourner «chez-eux». Ils confirment ainsi que leur pays offrent des perspectives plus sombres que l’humiliation de l’illégalité, le rabaissement de l’exil, l’attente sous une tente dans un camp de réfugiés et l’ensardinnement sur des brancards, derrière des barricades d’un stade.

Puisque Jovenel Moïse n’a pas obtenu la prolongation du TPS, je vous laisse imaginer l’impact sur le tissu social d’Haïti, quand des dizaines de milliers de personnes iront réclamer leur part de pauvreté avec les déportés en provenance du Brésil, du Chili, du Mexique, de la République dominicaine, des Bahamas et des autres îles de la Caraïbes.

Puisque Jovenel Moïse n’a pas obtenu la prolongation du TPS, souhaitons qu’il finisse par apprendre ce que tous ces prédécesseurs, ses acolytes et ses adversaires n’ont jamais pris le temps de comprendre. Il saura tôt ou tard que s’il est vrai que tous les pays de la planète cherchent à se débarrasser de leurs pauvres, surtout ceux qui ne sont pas les leurs, pour la dignité humaine, pour le pays, pour la patrie, pour nos frères et pour nos sœurs, il serait plus que temps que Haïti arrête de produire des pauvres pour les confier aux bons soins de ceux qui ont horreur des pauvres.