En mai 2018, dans une autre déclaration pour attirer l’attention sur lui, Kanye West a laissé croire que passer 400 ans en esclavage aux États-Unis, devait être un choix, un choix assumé par les opprimés. Malheureusement, l’artiste Hip-hop n’a fait que perpétuer le discours qui avait servi à justifier l’esclavage. Dociles, sans âme, obéissants, stupides, inintelligents et sans imagination, les Noirs seraient incapables de s’organiser pour se révolter. Et pourtant !

Puisque le chanteur croit que les Noirs américains avaient sagement accepté leur condition, vous devriez lui dire que la plus grande crainte des propriétaires d’esclaves était les tentatives de soulèvements. Ils savaient que les esclaves pouvaient marcher sur leurs cadavres et du coup, renverser le système économique américain.

Puisqu’il n’en sait rien, dites à Kanye West que dès 1639, les esclavagistes avaient mis en place des «Slave Codes», Ces lois et ses règlements avaient pour objectifs d’empêcher les esclaves de s’organiser. Si tout avait été mis en place pour les maintenir dans l’ignorance, c’est parce que les esclaves les plus dangereux, étaient ceux qui savaient lire et écrire. Justement !

La révolte menée par Nate Turner en 1831 en Virginie avait marqué un tournant. Il avait appris à lire. Inévitablement, quelques jours après sa victoire, Nate Turner et ses comparses avaient été pourchassés, attrapés et exécutés. Tout ça, parce qu’après avoir assassiné leurs maîtres, à court de munitions, ils n’avaient aucun endroit pour se réfugier.

En Caroline du Sud, en 1822, Denmark Vessey avait mis en place un projet où les esclaves libérés n’auraient pas besoin de renouveler leur stock de munitions, ni devenir des marrons. Ils s’exileraient vers… Haïti.

Pour qu’il comprenne bien ce dont il s’agit, dites à Kanye West qu’en 1804, devenue indépendante, Haïti était tout ce que les esclavagistes craignaient… un exemple pour l’émancipation des Noirs américains mais surtout leur possible havre de liberté. Mais voilà! Les esclaves américains, dont Denmark Vessey, étaient fascinés par ce qui se passait en Haïti.

Après avoir remporté un lot de 1 500$ à la loterie, Denmark Vessey avait acheté sa liberté. Il travaillait sur un bateau qui faisait la navette entre Charleston et le Cap haïtien. Lors de ses nombreux voyages, il s’était fait confirmer que tout Noir qui foulerait le sol d’Haïti deviendrait automatiquement libre.

Denmark Vessey aurait demandé et obtenu l’aide des révolutionnaires haïtiens pour libérer 9 000 des 57 000 esclaves de Charleston. Pour compléter son plan, il aurait épargné les propriétaires de bateaux et les aurait forcés à transporter tout ce beau monde vers Haïti.

Puisque les Haïtiens avaient pris la vilaine habitude de fourrer leur nez dans les révolutions des autres, parmi les principaux alliés de Denmark Vessey, il y avait des dizaines d’esclaves provenant d’Haïti. Dès 1791, année où avait débuté la révolution haïtienne, leurs maîtres en fuite et ayant perdu leurs privilèges, les avaient trimbalé à Charleston.

Si Kanye West devait apprendre l’histoire de Denmark Vessey, pour vous prouver son point, il retiendra que ce sont d’autres esclaves, confortables dans leur statut, dira-t’il, qui ont choisi de le dénoncer quelques jours avant la réalisation de son projet. Kanye West choisira de ne pas retenir que même des Noirs libres et riches, comme Denmark Vessey, avaient choisi de donner leur vie pour les autres… pour la liberté des autres.

Kanye West ne saura jamais, à moins que vous ayez l’énergie pour lui en faire la démonstration, que c’est, entre autre, pour contrer son influence sur leur régime esclavagiste que les Américains avaient, jusqu’en 1862, isolé la première république noire. Il ne vous croira pas quand vous lui direz que c’est justement la multiplication des révoltes après la Révolution haïtienne qui a rendu l’esclavage indécent et propulsé le mouvement abolitionniste.

Kanye West ne sait pas que, plus de 150 ans après l’abolition de l’esclavage, son pays qui, lorsqu’il s’agit de démocratie, fait la morale aux autres, n’arrive toujours pas à se débarrasser des réflexes primitifs de son passé honteux.

Plus de 50 ans après la lutte des droits civiques, la grande puissance qui exporte à coups de crosses, ses valeurs de démocratie participative, invente encore des astuces pour offrir à ses descendants d’esclaves, une citoyenneté à rabais.

Si après lui avoir raconté tout ça, Kanye West ne se révolte pas… ce sera son choix.