Ce texte a été publié le 12 octobre 2018. Michaëlle Jean venait de perdre son poste de Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie. Suite à la nomination de l’ancienne Gouverneure générale du Canada à la tête de la Fédération haïtienne de football, je l’ai republié sans modification, le 26 janvier 2021.

Vous croyez vraiment que Michaëlle Jean a perdu son poste de Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) en raison de ses dépenses somptueuses et des rénovations de son appartement de Paris? Come on! Be real?

Vous croyez qu’elle a été sortie par la porte d’en arrière parce qu’elle avait équipé son appartement d’un piano qui a couté 20 000$? Are you serious?

Et si je vous dévoilais comment le Canada s’y était pris pour imposer Michaëlle Jean à la tête d’une organisation que les pays africains considéraient comme leur propriété privée? Now you’re talking!

Et si je vous prouvais que c’est Paul Kagamé, le Président de la très peu démocratique Rwanda, qui a «déchouké» Michaëlle Jean. We’re getting somewhere!

Et si je vous révélais que Paul Kagamé est, depuis janvier 2018, à la tête de l’Union africaine et qu’il est le promoteur de la Zone de libre-échange continentale (ZLEC)? Now you’re starting to understand!

Et si je vous démontrais que Paul Kagamé est le nouveau maître de l’Afrique? Then… Buckle up and let me take you for another ride!

Une règle tacite veut que ce soient les Européens qui choisissent le directeur du Fonds monétaire international. En contrepartie, Washington choisit le directeur de la Banque mondiale. Comme de fait, en 2010, après la démission de Dominique Strauss Kahn, vous aviez fini par l’oublier celui-là… C’est la Française Christine Lagarde qui avait hérité du poste de directrice générale du FMI. Dans cet échange de bons procédés, en 2012, Barack Obama avait désigné l’Américain Jim Yong Kim pour présider la Banque mondiale.

Dès sa création, le 20 mars 1970, les Africains avaient décidé de mettre la main sur l’Organisation internationale de la francophonie. Comme les États-Unis et la France l’ont fait pour le FMI et la Banque mondiale, ce serait à leur tour de contrôler une organisation internationale. Comme de fait, le premier Secrétaire général de l’OIF était Boutros Boutros-Ghali, un Égyptien délégué par le dictateur Hosni Moubarak.

Avant de diriger l’OIF, entre 1998 et 2002, Boutros Boutros-Ghali avait occupé le poste de Secrétaire général de l’ONU. Il a été Vice-Premier ministre de son pays et chargé des Affaires étrangères. Il avait enseigné le droit international et les Relations internationales à l’Université du Caire.

Boutros Boutros-Ghali qui est décédé le 16 février 2016, était une grosse pointure qui avait amené dans cette organisation son expérience, son expertise et un carnet d’adresses bien rempli.

Ah! Vous ne saviez pas que l’Égypte était en Afrique? Bien oui. L’Égypte tient à faire partie de l’Afrique quand c’est payant. Autrement, elle préfère de loin, de très loin, être un pays arabe.

Oh! Vous ne pensiez pas que l’Égypte était un pays francophone? C’est vrai que c’est seulement 3,3% de sa population qui parle français. N’empêche que ça représente près de 3 millions de personnes. Disons tout de même qu’être francophone est un détail sans importance.

Un pays peut devenir membre de l’OIF même si le français n’est pas sa langue officielle. Il suffit de démontrer sans trop d’effort que cette langue a une importance dans la culture du pays. Imaginez qu’en Arménie, là où a eu lieu le Sommet de la francophonie d’octobre 2018, il n’y a que 18 000 personnes qui parlent le français. C’est tout dire!

Vous ne serez pas étonné d’apprendre que la République démocratique du Congo qui est dirigée par le dictateur Joseph Kabila, est membre de l’OIF. Mais vous serez renversé quand vous je vous dirai que le Qatar est membre associé et que les Émirats arabes-unis y ont le statut d’observateur.

Si vous êtes intrigué par la présence de ces pays à l’OIF, ce n’est surement pas pour le peu de gens qui y parlent le français. Nope! Nobody cares! C’est parce que vous venez de réaliser que le Qatar et les Émirats arabes unis sont des pétromonarchies esclavagistes, misogynes, racistes, homophobes, rétrogrades et arriérées. Si ces pays tiennent à faire partie de l’OIF, c’est parce qu’un jour, il pourrait s’y brasser de grosses affaires.

Avant de devenir le 2e Secrétaire général de l’OIF le 20 octobre 2002, Abdou Diouf était Secrétaire de Cabinet du Président Léopold Sedhar Senghor, Ministre du Plan et de l’Industrie et Premier ministre de son pays. En 1981, il a accédé à la présidence. Puis, il a été élu en 1983 et réélu 1988 et 1993. À son crédit, on trouve des réformes démocratiques, la décentralisation de l’État et la relance économique de son pays. Après trois mandats à la tête de l’OIF, Abdou Diouf a cédé sa place à Michaëlle Jean.

Le 30 novembre 2014 à Dakar, lors du XV Sommet de la francophonie, les candidats au poste de Secrétaire général de l’OIF étaient l’ex-Président du Burundi Pierre Buyoya, l’ex-Premier ministre mauricien Jean-Claude de l’Estrac et l’ancien ministre équato-guinéen Agustin Nze Nfumu. Mais, dans le dernier droit, le duel devait se faire entre l’écrivain et diplomate congolais Henri Lopes et l’ex-Gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean.

Le dictateur congolais Denis Sassou-Nguesso voulait que l’OIF, qui avait été dirigée par un pays arabe et un pays de l’Afrique de l’ouest, passe aux mains d’un pays du centre du continent. Mais Stephen Harper, le Premier ministre du Canada, avait un autre plan.

Pour vraiment comprendre ce qui vient de se passer ce 12 octobre 2018, il faut vous rappeler que la nomination de Michaëlle Jean avait été conclue sur des tractations politiques, des jeux de coulisses, du tordage de bras; dans le drame, la controverse, la frustration, la rage et la douleur. Bref, le Canada, avec la complicité de la France, avait littéralement volé le poste pour le confier à sa fidèle représentante.

Pendant que tout le monde se préparait à voter, Stephen Harper, appuyé par son complice François Hollande, avait demandé un tête-à-tête avec Denis Sassou-Nguesso. Après 75 minutes de discussions, chose rare, Stephen Harper était ressorti de la salle, un sourire fendu jusqu’aux oreilles. Denis Sassou-Nguesso est reparti en beau fusil. Tout le monde avait compris, Michaëlle Jean aussi. Applaudie, elle s’était présentée à la tribune pour son couronnement.

Pour faire avaler la pilule aux Africains, pour ajouter l’insulte à l’injure, après le coup de force, François Hollande, fidèle à sa maitrise de l’art de dire du n’importe quoi, avait dit de Michaëlle Jean, qui est née en Haïti : « D’une certaine façon, elle est aussi africaine. » Cette autre phrase creuse pour bercer, cette câlinerie pour faire dormir debout, ne pouvait aucunement démonter la réalité.

Malgré son impressionnante feuille de route, contrairement à ses prédécesseurs, Michaëlle Jean n’avait ni l’expertise requise, ni les compétences spécifiques, ni le carnet d’adresses et encore moins le sens politique nécessaire pour diriger une si imposante organisation internationale. Elle n’est ni une politicienne, ni une gestionnaire.

Abstraction faite de sa carrière de journaliste, Michaëlle Jean n’avait occupé que des postes honorifiques dont ceux de Chancelière de l’Université d’Ottawa, d’Envoyée spéciale de l’UNESCO pour Haïti après le tremblement de terre de 2010 et de Grand témoin de la francophonie pour les Jeux olympiques et paralympiques de Londres en 2012.

En 2014, il n’y a pas eu d’élections au poste de Secrétaire général de l’OIF parce que la France et le Canada, qui en sont les principaux bailleurs de fonds, ont acheté, payé et emballé et se sont fait livrer les commandes de l’OIF pour en faire une confrérie folklorique. Et c’est pour ça, et rien que pour ça, qu’ils ont placé à la tête de l’OIF Michaëlle Jean, l’archétype de l’occupant-type d’un poste typiquement honorifique.

La France et le Canada voulaient éviscérer l’OIF pour en faire une coquille vide, peu dérangeante. Cette babiole ne devait s’occuper que de la noble défense de la langue française et de la culture francophone. Encore aujourd’hui, le Président français Emmanuel Macron a rappelé que la promotion de la langue française est la principale raison-d’être de l’OIF.

Comme tout le monde, vous savez que Michaëlle Jean, qui fut Chef d’État au Canada, est une Canadienne qui a été placée à la tête de l’OIF par le Premier ministre du Canada pour défendre la vision du Canada.

En bonne Canadienne, Michaëlle Jean a tenté de remplir la coquille vide avec des préoccupations canadiennes sans réaliser qu’elles étaient dérangeantes et incompatibles avec les intérêts des Africains.

Pour répondre aux commandes de ses maîtres, Michaëlle Jean avait mis dans son plan d’action la liberté de presse, la lutte contre l’impunité, l’égalité entre les femmes et les hommes et d’autres valeurs de la sacrosainte démocratie occidentale.

Si seulement Michaëlle Jean s’était souvenue que le processus qui l’avait amenée au Secrétariat de l’OIF n’était pas démocratique…

Si seulement Michaëlle Jean avait compris que pour accéder à ce poste, son bienfaiteur, Stephen Harper, avait négocié en connaissance de cause avec un dictateur…

Si seulement Michaëlle Jean avait réalisé que des dizaines de pays membres de son organisation sont dirigées par des dictateurs féroces qui n’ont rien à cirer des droits humains…

Si seulement et seulement si Michaëlle Jean avait compris que la philosophie défendue par le Canada, celle qui dit que c’est la démocratie qui apportera le développement, est en totale contradiction avec celle des dictateurs qui prétendent que c’est le développement qui apportera la démocratie…

Le 30 novembre 2014, Stephen Harper et François Hollande avaient profité de la division des pays africains pour leur faire avaler la nomination de l’ancienne Gouverneure générale du Canada. Conscients de s’être faits ratiboiser, les Africains sont revenus à la raison en 2018 avec une stratégie à toute épreuve. Et c’est Paul Kagamé qui en est l’architecte.

La défaite de Michaëlle Jean n’a rien à voir avec son bilan ou son appartement, sa personnalité ou sa nationalité, son piano ou son égo. It’s larger than that!

L’Union africaine avait dans ses plans de mettre en place une Zone de libre-échange continentale (ZLEC). Tout le monde avait fini par croire que ce projet avait été assassiné en même temps que Mouammar Kadhafi. Tout d’un coup, s’est pointé un néo-panafricaniste qu’on n’attendait pas. Paul Kagamé.

Le Président du Rwanda est devenu, en janvier 2018, Président de l’Union africaine. Il a convaincu ses compères que la ZLEC créerait un marché de plus de 1,2 milliard de personnes. Paul Kagamé a déposé des rapports qui indiquent que, s’il y avait suppression des droits de douanes sur 90% des biens échangés sur le continent, le commerce intra-africain augmenterait de 52,3%. Puisqu’il croit que c’est le développement qui apportera la démocratie, therefore… Africa is open for business!

Le 22 mars 2018, à Kigali, la capitale de son pays, Paul Kagamé a obtenu la signature de 44 des 55 membres de l’UA sur l’accord de la ZLEC. Cette zone d’intégration économique deviendra effective quand au moins 22 pays auront fait ratifier l’accord par leur parlement. À ce jour, le Ghana, le Kenya, le Rwanda, la Côte-d’Ivoire et le Niger ont rempli cette condition.

Paul Kagamé a convaincu tout le monde que l’OIF peut être un outil politique et économique servant à faciliter la mise en place de la ZLEC. En juillet 2018, lors du 31e Sommet de l’Union africaine à Nouakchott, en Mauritanie, il n’a eu aucune difficulté à convaincre les 29 pays africains membres de l’OIF de présenter une seule candidate au poste de Secrétaire général de l’Organisation… La sienne!

Les Africains se sont rangés derrière Louise Mushikiwabo, la Ministre des Affaires étrangères du Rwanda, une personnalité qui a pour grande qualité d’être africaine certes, mais une Africaine qui comprend l’importance de la ZLEC et qui n’a rien à cirer de la langue française et encore moins de la démocratie.

Au pays de Paul Kagamé et de Louise Mushikiwabo, il n’y a plus que 700 000 personnes qui parlent le français. Cette langue a été bannie dans l’administration publique et dans les institutions d’enseignement. Si ce n’était que ça! There’s more at stake in Rwanda!

Le Rwanda, qui fait l’envie pour son miracle économique, n’est pas une démocratie. En 2015, Paul Kagame, le chouchou de ceux qui fantasment encore sur le mythe du dictateur progressiste, a changé la Constitution de son pays pour pouvoir se présenter pour un 3e mandat qu’il a remporté avec 98% des suffrages.

Ces résultats soviétiques, jugés peu crédibles, ont été largement tolérés par la Communauté internationale qui n’aime pas déranger les dictateurs qui ne quémandent pas de l’aide internationale et ceux qui lui rendent de précieux services.

Au-delà de ça, Paul Kagamé sait qu’il peut faire ce qu’il veut parce que comme moi, vous savez qu’il sait parfaitement que la Communauté internationale a une dette morale envers le Rwanda. Jusqu’à nouvel ordre, sa Majesté, Paul Kagamé, est intouchable. Il le sait et il se croit inattaquable. Mais il n’est pas le premier à connaître cette béatitude… Ô combien passagère et éphémère.

Oui, c’est Michaëlle Jean qui a perdu la face, mais c’est la France et le Canada qui ont été défaits. Mais c’est surtout l’Afrique qui, pour une fois, a finalement trouvé une façon de gagner.

Frédéric Boisrond

Un Sociologue plus infréquentable que jamais

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