L’incident du Défilé 2017 de la St-Jean m’offre l’opportunité de partager avec vous, un cadre d’analyse que j’ai développé et que j’ai enseigné à celles et ceux qui ont suivi le cours Diversity and Community Relations à l’Université McGill. C’est ce même cadre que j’applique avec les organisations qui retiennent mes services comme Consultant. Lorsque mis en application, il vous évite de gaspiller votre temps-média à vous justifier et à vous excuser. Il vous épargne le temps, l’énergie et l’argent que vous dépenserez pour reconstruire votre image corporative, regagner la confiance de votre public et rebâtir les relations avec vos cibles. Bref, il vous libère de l’obligation de faire du Damage-control.
Rappelons les faits.
Pour financer son équipe de football et répondre à une volonté d’être écoresponsable, un entraîneur a accepté de faire pousser des chars allégoriques par ses joueurs. Le problème c’est que le premier char était poussé, à la sueur de leur front, par des Noirs qui avaient l’air souffrants. Ils étaient suivis d’une quarantaine de Blancs habillés de blanc immaculé, déambulant en toute béatitude. Sur le char, une chanteuse fredonnait, dans l’allégresse, l’amour de la patrie.
Du coup, la Toile s’est enflammée avec des références sur la pureté de la race, l’esclavage, l’apartheid, le lynchage, le White Privillege, les pensionnats indiens, des photos de Kunata Kinte et des images tirées de Tintin au Congo. Tout y a passé. Des journalistes, dont ceux de RDI et Mario Girard de La Presse, sont bêtement tombés dans le piège et sont sortis de leur obligation d’objectivité avec des justifications hautement niaiseuses. Tout le monde y a goûté. Tout le monde a perdu un peu de crédibilité.
Le cadre d’analyse que je propose n’est pas infaillible. Cependant, si les décideurs associés au Défilé de la St-Jean l’avaient appliqué, je suis convaincu que rien de cela ne serait arrivé. Dans la mesure où je considère qu’une personne doit gérer ses communications de la même manière qu’on gère une marque de commerce, cette recette s’applique aussi pour les individus et particulièrement pour les adeptes des médias sociaux.
Toute organisation sérieuse, voire même toute personne responsable, devrait, pour chaque action publique, avoir le réflexe de se poser 2 questions fondamentales.
1. Wat Is It ?
La première question est de se demander si dans nos gestes, nos actions et nos propos, l’ajout ou la mention de l’orientation sexuelle, du sexe, de la religion ou de l’ethnie permet de mieux comprendre le contexte ou de bonifier une situation.
Si la réponse est NON, il faut se demander si ainsi, nous n’exprimons pas inconsciemment notre propre racisme, notre xénophobie, notre homophobie ou notre misogynie. Il faut alors tout remettre en question, voire même tout recommencer avec une nouvelle équipe.
Pour toute organisation respectable, à cette première question, la réponse sera toujours OUI et c’était certainement le cas pour les personnes impliquées dans le Défilé de la St-Jean. Le problème, c’est que la question n’a certainement pas été posée.
Je suis convaincu que personne ne s’était dit, on va mettre une Blanche sur une carriole et on va la faire pousser par des petits Nègres pour leur rappeler Driving Miss Dasy. Si on voulait leur rappeler les champs de canne à sucre, on aurait mis des chaines aux pieds des pousseurs et on aurait ajouté des hommes blancs pour les fouetter. Là, le tableau aurait été indiscutable.
2. What will it look like ?
En 2e lieu, il faut se demander s’il est possible que l’autre perçoive notre action comme étant une attaque raciste, xénophobe, homophobe ou misogyne. De préférence, pour prendre des distances par rapport à nos propres perceptions, il est préférable de poser la question à d’autres et au mieux à un Focus group.
La réponse à cette question est généralement NON. Elle est parfois PEUT-ÊTRE ou au pire, OUI. Mais, la réponse négative ne démontre pas pour autant notre intolérance. Au contraire.
Dans de tels cas, il faut avoir la sensibilité pour faire la remise en question qui permettra d’ajuster le message pour s’assurer d’exprimer nos propres valeurs et pour contrer la perception négative que pourrait avoir le grand public.
La compagnie Nivea a fait une belle démonstration de ce qui arrive quand on ne prend pas le temps de se poser ces 2 questions. Elle avait créé une affiche publicitaire où on voyait une femme blanche de dos. Nivea avait ajouté le slogan White is purity. Au fond, l’équipe de communications voulait parler de la couleur de la crème. Inutile de vous dire comment ça a été perçu par le grand public. Nivea a retiré la publicité et a dépensé une fortune pour démontrer qu’elle n’était pas une compagnie qui faisait la promotion de la suprématie blanche. Trop tard!
Cela dit, parce qu’on n’a pas fait passer ce test au Défilé de la St-Jean, une manifestation de grande envergure, filmée et couverte par tous les médias, on est passé à coté des bonnes intentions. Au net, on se retrouve à gérer une crise, à devoir défendre son image et à être contraint de rebâtir des ponts avec les personnes offensées.
De toute évidence, si les responsables du Défilé de la St-Jean n’ont fait passer leur action dans aucun prisme d’analyse c’est parce que tout le monde a trouvé la mise en scène normale… normale pour eux. Justement, il ne s’agissait pas d’eux mais de la perception des autres.
On peut croire que les décideurs ne se sont pas posé la première question parce qu’ils étaient de bonne foi. Et c’est exactement pour ça qu’ils ont déconnecté avec la logique qui les aurait amenés à se poser la deuxième question. Parce qu’ils ne se sont pas demandés de quoi ça va avoir l’air, ils ont eu l’air fou.
Quand une organisation ne se donne pas des processus pour la gestion de ses communications et de son image, elle doit assumer les conséquences de son action. Les organisateurs du Défilé ont créé un Polaroid discutable qui a laissé place à interprétation. Therefore… If it walks like a duck, swims like a duck and quacks like a duck, it’s a duck.
Les décideurs associés au Défilé de la St-Jean sont mal placés pour reprocher à l’autre de se sentir agressé. Ils n’ont pas compris qu’on ne doit jamais donner l’occasion à l’autre de nous définir. Quand on comprend ça, une organisation qui se respecte prend tous les moyens pour ne jamais avoir à dire qu’elle n’est pas raciste, homophobe, misogyne…
Si vous vous êtes rendu jusqu’au bout de ce texte, vous avez retenu 2 choses.
La première: Quand on est pris pour dire ce qu’on n’est pas, on perd l’opportunité de dire ce qu’on est.
La deuxième: En gestion d’une marque de commerce comme dans la gestion d’une image personnelle: It’s not what it is. It’s what you make it look like !
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Loin de se cantonner dans un mutisme complet après avoir vu un char allégorique poussé par des Noirs, avec le corps flippé par la fatigue, au Défilé 2017 de la St-Jean, le sociologue Frédéric Boisrond s’adonne avec circonspection à l’analyse de cette déplorable situation, qui a suscité un désarroi général dans le monde des Noirs. Appréciant à sa juste valeur son approche personnalisée de cette séquence, qui a estompé le succès de cette grandiose Fête nationale, nous faisons ce commentaire.
Concernant le rapport individu/société, il existe naturellement une différence entre les êtres humains dans une société multiculturaliste. Nous nous refusons à les comparer, car les différences repérées s’inscrivent dans un système d’interactions sociétales produisant ces différences comme autant d’aspects de sa spécificité.
Considérant que la comparabilité se fonde sur des catégories ou des critères dont on postule la “continuité” (d’un pays à l’autre); considérant, de plus, que soit par inadvertance, soit volontairement, certains organisateurs ont en commun de pratiquer une sorte de dialectique qui est en rupture avec la conception rationnelle ou logique du “système social” et de son fonctionnement. Nous nous demandons, perplexe, jusque à quand il y aura une parfaite intégration des Noirs dans le dynamisme du système social ?
Luc Charles