Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, dans la grande parade des sauveurs d’Haïti, Régis Labeaume s’était pointé à Port-au-Prince du 27 novembre au 1er décembre 2012. Avant même qu’il ne quitte sa ville, le Maire de Québec et toutes les personnes impliquées dans son projet savaient sans vouloir le savoir, que toutes les conditions gagnantes étaient réunies pour leur permettre de réussir un fiasco programmé. Voici la chronologie d’une utopie qui, pour un rien, avait viré en une autre belle niaiserie.

Lorsqu’il avait débarqué à Port-au-Prince, Régis Labeaume était l’invité de celle qui était alors Envoyée spéciale de l’UNESCO pour Haïti, Michaëlle Jean. Le Maire de la Ville de Québec était accompagné de Richard Poitras, Directeur du Service de la protection contre l’incendie, de Marika Vachon, Architecte coordonnatrice au Service de la gestion des immeubles et de Paul-Christian Nolin, son Attaché politique.

Si vous l’avez oublié, je vous rappelle que si Régis Labeaume avait fait le voyage avec son pompier en chef et son architecte, c’est parce que Michaëlle Jean l’avait convaincu de financer la reconstruction de la caserne d’incendie de Port-au-Prince.

Au cours de son séjour, Régis Labeaume avait rencontré Michel Martelly, le Président d’Haïti, ainsi que plusieurs de ses ministres. Selon un reportage de Radio-Canada, le Maire de Québec prétendait que ces jeunes politiciens, formaient une «équipe solide» et qu’ils étaient là pour les bonnes raisons. De toute évidence, Michaëlle Jean qui participait à cette réunion, avait omis de lui dire qu’il avait devant lui, un Président illégitime. C’est elle qui devait lui dire que les résultats qui avaient permis à Michel Martelly de remporter le scrutin de 2010, avaient été griffonnés sur un coin de table par des représentants de l’Organisation des États américains, les ambassadeurs des États-Unis, de la France et du Canada. Elle ne l’avait pas fait.

Valérie Gaudreau, journaliste du Soleil qui avait accompagné Régis Labeaume, avait écrit le 1er décembre 2015 que ce dernier s’était fait, en Michel Martelly, un nouvel ami. À sa sortie de leur rencontre Régis Labeaume avait dit, «vraiment, je l’ai aimé celui-là. Il représente une autre façon de faire de la politique. Vraiment, il n’est pas comme les autres. Les Haïtiens n’ont jamais eu un président de ce genre. Régis Labeaume ne pouvait pas si bien dire.

De toute évidence, Régis Labeaume ne m’avait pas consulté. S’il l’avait fait, je lui aurais dit que Michel Martelly est encore aujourd’hui, un dévergondé au discours ordurier qui incite à la haine, un misogyne qui invite au viol des femmes comme méthode de résolution de conflits. Régis Labeaume ne pouvait pas savoir qu’il allait rencontrer une fripouille incompétente. C’était à Michaëlle Jean de lui dire qu’il aurait devant lui, l’homme le plus violent que Haïti ait produit depuis la fin de la dictature. Elle ne l’avait pas fait.

Tout avait débuté le 11 décembre 2013. Régis Labeaume avait obtenu avec la résolution portant le numéro GI2013-105 (RA-1769), que le Comité exécutif de la Ville de Québec recommande au Conseil de ville d’autoriser la direction du Service de la gestion des immeubles à présenter une demande au gouvernement canadien pour financer la reconstruction de la caserne d’incendie de Port-au-Prince. Puisque le fédéral avait dit oui, il restait juste à trouver une date symbolique pour bien marquer les esprits.

Cinq ans, jour pour jour après le tremblement de terre, le 12 janvier 2015, Christian Paradis, qui était Ministre canadien du Développement international et de la Francophonie était débarqué à Québec. En conférence de presse, il avait annoncé que le gouvernement fédéral allongerait 2 640 000 $ pour le projet. Pour sa part, Régis Labeaume avait promis que la contribution de sa ville serait de 170 000 $. Michaëlle Jean, devenue Sécretaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, avait, depuis Paris, participé à l’événement en vidéoconférence pour remercier les 2 politiciens pour leur contribution à la sécurité publique dans la capitale haïtienne.

Tout allait bien, tellement bien que même Paul Shoiry, le Chef de l’opposition à l’Hôtel de Ville de Québec était en accord avec le projet de reconstruction de la caserne d’incendie de Port-au-Prince. Même s’il croyait que ce n’était pas le mandat de la Ville d’aider un autre pays, il disait que devant une telle crise humanitaire il fallait faire preuve d’ouverture et de générosité. Ça ne pouvait pas mieux aller que ça.

Pour la forme, le Syndicat des pompiers de la Ville de Québec estimait qu’avant d’aller visiter des casernes dans un autre pays, Régis Labeaume devrait commencer par visiter celle de Val Bel-Air qui était en décrépitude. Même s’il le pouvait, le syndicat ne voulait pas avoir l’air cheap. Il avait donné son aval tout en souhaitant que le Maire implique ses pompiers dans le projet, des travailleurs de terrain plus compétents que lui pour évaluer les besoins. Il n’y avait rien de contraignant dans cette prise de position normale et attendue. Régis Labeaume avait la voie libre.

Plus rien ne pouvait arrêter le Maire de Québec. Ni vous, ni moi. Rien, sauf une toute petite affaire de rien du tout. Rien, sauf une peccadille sans importance. Rien, sauf une patente grosse comme le bras. Ce rien, ce petit rien du tout, c’était une information qui faisait quotidiennement les manchettes. Cette information qui a été ignorée, était connue de tous les acteurs de cette pantalonnade, de vous, de moi et de tous les autres spectateurs de cette mascarade.

Comme de fait, sans surprise, comme convenu, comme prévu et en toute logique, après 56 mois de niaisage et de tergiversations, en juillet 2017, Régis Labeaume avait annoncé que le projet de reconstruction de la caserne d’incendie de Port-au-Prince avait été annulé. Le Porte-parole de la Ville, David O’Brien, avait dit que le projet avait été abandonné parce que le gouvernement haïtien n’avait pas fourni un terrain arpenté, avec des titres de propriété clairement définis. Et c’est là que tout le monde avait compris qu’un «rien c’est n’importe quoi mais ce n’est pas rien pour autant.»

Puis, ce fut au tour du Maire d’exprimer son saisissement. Outré et découragé, Régis Labeaume avait admis ne pas comprendre comment le gouvernement haïtien avait pu laisser passer cette opportunité de développement en or qui lui avait été servie sur un plateau d’argent sonnant.

En surface tout le monde pouvait être interloqué. Mais au fond, tout le monde connaissait l’existence de ce petit rien qui ferait immanquablement déraper le projet. Quand c’est arrivé, pour ne pas avoir l’air fou, tout le monde avait fait semblant d’avoir oublié que lors de la conférence de presse du 12 janvier 2015, le Maire de Québec, le Ministre Christian Paradis et Michaëlle Jean avaient conclu que seule l’instabilité politique en Haïti pouvait empêcher la réalisation du projet.

Oui! C’est ça, c’est bien ça. Toute le monde savait que l’instabilité politique serait ce petit rien du tout qui ferait tournebouler le tout. Tout le monde savait, mais personne ne voulait rien voir. Tout le monde avait vu, mais personne ne voulait rien savoir. Tout le monde avait foncé tête baissée dans la swomp.

Le 12 janvier 2015, Christian Paradis avait clairement affirmé à la conférence de presse que la situation politique en Haïti était inquiétante. Il avait rappelé que le Parlement était caduc et qu’aucune date de scrutin n’était prévue. Dans mon livre à moi, ça s’appelle de l’instabilité politique. Néanmoins, ce n’est pas ça qui allait empêcher le Ministre d’embarquer dans cette foucade… pour rien.

Ce qui est encore plus incohérent dans cette affaire, c’est qu’en janvier 2015, dans ses avis aux voyageurs, le gouvernement que représentait Christian Paradis, avait invité les Canadiens à faire preuve d’une grande prudence en raison des troubles civils et des tensions politiques qui persistaient en Haïti. Le gouvernement de Stephen Harper avait demandé à ses ressortissants de surveiller attentivement la situation politique et de ne pas sortir pendant les rassemblements politiques qui pouvaient dégénérer en manifestations violentes. Pire que l’instabilité politique, ça s’appelle de l’instabilité sociale.

Oui! C’est ça. C’est bien ça… Lorsqu’il avait émis ses recommandations le gouvernement du Canada avait formellement confirmé que l’instabilité politique en Haïti avait atteint son paroxysme. Et comment! Écoutez bien ce qui suit. Soyez très attentifs. Je ne vais pas le répéter.

Croyez-le ou non, le Parlement haïtien avait été dissout le 12 janvier 2015, le jour même où Christian Paradis, Régis Labeaume et  Michaëlle Jean prenaient la parole à Québec. Ce jour-là, le Sénat ne comptait que 10 élus sur 30. Avec un impossible quorum, cette institution était devenue totalement dysfonctionnelle et encore plus inutile que ce pourquoi elle avait été créée. Si ce n’était que ça.

Pour ajouter à l’absurdité, Christian Paradis, Régis Labeaume et Michaëlle Jean savaient qu’un mois avant leur conférence de presse, soit le 13 décembre 2014, le Premier ministre, Laurent Lamothe et son «équipe solide» avaient remis leur démission. Son successeur, Evans Paul, était arrivé en poste le 16 janvier 2015, le lendemain de la conférence de presse de Québec.

Oui! C’est ça. Si vous m’avez bien écouté, vous m’avez entendu dire que le 12 janvier 2015, lors de leur conférence de presse, tout ce beau monde savait qu’Haïti n’avait pas de Premier ministre. C’est pas tout !

Au moment même où le trio prenait la parole à Québec, Michel Martelly, celui qui fait de la politique autrement, annonçait que les élections législatives et municipales qui devaient avoir lieu en octobre 2014, seraient reprises quelque part en 2015. Puisqu’il n’avait que pour seul rempart, sa stratégie du «Kite konpa mache», une espèce de bric-à-brac basé plus sur le laisser-aller que sur le laisser-faire, le Président illégitime ne pouvait proposer un calendrier plus précis que ça.

La veille de la conférence de presse, soit le 11 janvier 2015, Jean-Michel Caroit écrivait dans Le Monde que Michel Martelly était contesté dans la rue par des manifestations quasi quotidiennes avant d’ajouter qu’il y avait dans le pays un climat d’affrontement mêlé à un vide de pouvoir.

Oui! C’est ça, Vous avez bien compris… Le 12 janvier 2015, quand le projet de reconstruction de la caserne d’incendie de Port-au-Prince avait été annoncé en grande pompe à Québec, Haïti avait atteint le point culminant de l’instabilité politique. Il y avait un vide politique. En fait, il était impossible de savoir qui réellement, dirigeait ce pays.

Pour aggraver la situation, en août 2015, le scrutin que Michel Martelly avait reporté et qui devait servir à élire des députés et des sénateurs, avait viré au fiasco. Le Conseil électoral avait exclu 16 candidats pour des fraudes, des tricheries et des magouilles de toutes sortes. Des actes de vandalismes et des agressions armées contre le personnel électoral avaient forcé la fermeture de plusieurs bureaux de vote et les élections avaient été annulées dans 25 des 119 circonscriptions.

Pour confirmer le chaos, des élections présidentielles qui devaient avoir lieu en 2015 avaient finalement été tenues en 2016. Pour asseoir le vide politique, de février 2016 à février 2017, Haïti était dirigé par Jocelerme Privert. Mandaté pour 90 jours, comme si de rien n’était, ce Président provisoire avait géré les affaires de la nation pendant 365 jours sans jamais demander la prolongation de son mandat à qui que ce soit. Et personne n’avait  rien dit. Personne n’a toujours rien dit. Personne ne dira rien. Je ne vous ai rien dit. Anyway, faites semblant de ne pas savoir parce que… «qui ne sait rien, de rien ne doute.»

Tout ceci pour vous dire que si le projet avait vu le jour, Régis Labeaume aurait transigé avec Jocelerme Privert. Vous avez compris que lui non plus, n’était pas comme les autres. Vous avez réalisé qu’il était plus illégitime que Michel Martelly, son illégitime prédécesseur. Vous aussi pouvez dire que les Haïtiens n’ont jamais eu un Président de ce genre.

Rendu là, vous pouvez conclure qu’en réalité, comme annoncé par Christian Paradis, Régis Labeaume et Michaëlle Jean, le projet de reconstruction de la caserne d’incendie de Port-au-Prince avait échoué en raison de l’instabilité politique en Haïti. Le projet avait planté parce qu’entre janvier 2015 et février 2017, en plus de l’illégitimité de sa présidence, Michel Martelly avait réussi à placer la Chambre des députés, le Sénat et l’exécutif dans des situations irrégulières, illégales et inconstitutionnelles.

Régis Labeaume avait raison. « Les Haïtiens n’ont jamais eu un Président de ce genre. Vraiment, il n’est pas comme les autres. Il représente une autre façon de faire de la politique.» 

Et c’est en faisant de la politique autrement que Michel Martelly s’était placé dans l’incapacité de gouverner. C’est parce qu’il n’était pas comme les autres qu’il avait lourdement handicapé le fonctionnement des structures de l’État. C’est parce qu’il était ce genre de Président qu’il avait créé un vide politique qui avait empêché l’émission de titres de propriété pour un terrain, une banalité administrative qui aurait permis d’offrir un service essentiel, à sauver des vies.

Ce n’était pas la responsabilité de Régis Labeaume de voir à la sécurité des Haïtiens. Il n’a pas à être blâmer pour sa bienveillance, son altruisme et sa générosité. Cependant, le Maire de Québec, le porte-étendard du projet, avait l’obligation de se renseigner sur son principal partenaire, son nouvel ami. Régis Labeaume sait maintenant que c’est l’autre façon de faire de la politique de Michel Martelly et l’incompétence de celui qui n’est pas comme les autres qui avaient créé l’instabilité politique, la seule condition perdante qui pouvait garantir l’échec du projet de reconstruction de la caserne d’incendie de Port-au-Prince.

Malheureusement, avec le temps, Régis Labeaume avait fini par oublier un autre petit rien qui ressemble en tout point au même petit rien qui avait fait échouer son projet pour rien. Comme lui, vous aussi, avez fini par oublier qu’en février 2013, le Maire de Québec devait retourner en Haïti pour revoir son nouveau patnè, celui qui, croyait-il, était là pour les bonnes raisons.

Moi, qui ne recule devant rien, j’ai tenté de comprendre pourquoi Régis Labeaume n’était pas retourné faire la jasette avec son nouveau mon-compè. J’ai fouillé et j’ai trouvé un p’tit rien du tout. Croyez-moi. Je n’invente rien.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que le Maire de Québec avait annulé ce voyage pour rien de moins que la même maudite instabilité politique. Régis Labeaume sait maintenant que «vaut mieux ne rien faire que de faire pour rien.»

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CITATIONS

  • «Vaut mieux ne rien faire que de faire pour rien», Rolland Walter
  • «Rien c’est n’importe quoi mais ce n’est pas rien pour autant», Alain Robbe-Grillet
  • «qui ne sait rien, de rien ne doute», Pierre Gringore