Malgré les bonnes volontés, la Constitution haïtienne de 1987 n’avait pas pour objectif d’implanter la démocratie. L’obsession était de tout mettre en place pour éviter qu’il y ait une nouvelle dictature dans ce pays. Pourtant, la classe politique d’Haïti, composée d’amateurs angoissés, d’individualistes avaricieux et de palabreurs sans vision, avait tout fait pour rendre le Sénat et la Chambre des députés totalement dysfonctionnels. Ils se sont faits complices du Président Jovenel Moïse qui, au cours de l’année qui a précédé son assassinat, gouvernait par décret. Il dirigeait le pays seul… seul comme un dictateur.

Le texte qui suit est un extrait de « Au nom du peuple et du fric et du sain d’esprit ». Ce premier livre de la série « Mythes, vérités et mensonges sur la démocratie », est paru en juin 2015.

Après la chute du régime dictatorial des Duvalier, le peuple haïtien s’attendait à ce que la démocratie lui apporte le développement. Il n’a accédé qu’au simple droit de vote. Mais, les élections aussi libres et honnêtes soient-elles, ne suffisent pas pour qualifier une société de démocratique. Parce que l’élite du pays n’avait pas compris que son implantation implique en tout premier lieu la mise en place d’un État de droit, la démocratie haïtienne s’est lourdement écrasée avant même son décollage.

En 1987, l’intelligentsia du pays a proposé une nouvelle constitution boiteuse, bancale et illogique. Le nombre d’élus a été inutilement aug­menté dans des assemblées tout aussi inutiles et improductives. Pendant que le Canada pensait à éliminer le sien, Haïti se dotait d’un Sénat qui a le pouvoir de bloquer le pays. Parce que la constitution a été rédigée avec pour principal objectif de contrer de potentiels dictateurs, elle limite le Président à deux mandats non consécutifs de 5 ans. Cette interruption obligatoire et les autres acrobaties législatives n’ont pas été rédigées pour sortir les Haïtiens de la misère abjecte. Au contraire, elles ont laissé place à la politicaillerie et à des débats futiles passant de la polémique à la jacasserie, des zones tellement réconfortantes et valorisantes pour la classe politique haïtienne.

L’Article 291 de la Constitution de 1987 interdisait aux Duvaliéristes l’exercice de toute fonction publique pendant 10 ans. Malgré tout, un ancien Ministre sous Jean-Claude Duvalier, le gobe-mouches Roger Lafontant, avait annoncé son intention de se présenter à la présidence. Paniquée, apeurée et intimidée par l’éventuelle candidature d’un despote, une coalition spontanée s’est rangée derrière l’homme le plus populaire du pays, le prêtre Jean-Bertrand Aristide. Aux élections du 16 décembre 1990, ce dernier a été élu dès le premier tour. Mais voilà! Un des plus grands défauts de la démocratie c’est qu’elle peut favoriser l’élection du plus populaire même s’il est incompétent.

En pariant sur Jean-Bertrand Aristide, la coalition a asphyxié le processus démocratique, privant les Haïtiens d’une saine compétition électorale. Arrivé au pouvoir sans expérience, passe encore. Le candidat de compromis n’avait absolument rien à offrir. Il n’avait pas de projet pour le pays, pas de vision et même pas de parti politique. Les Haïtiens ont ainsi confié leur démocratie naissante à un palabreur qui est vite devenu un maître du pilotage à vue et du développement cosmétique. Il ne pouvait en être autrement puisque Jean-Bertrand Aristide n’avait même pas l’expérience de la gestion d’un budget familial.

L’implantation de la démocratie a été un échec parce que l’élite pensante n’a pas pris en compte qu’un pays peut fonctionner sans gouvernement, mais qu’aucun pays ne peut fonctionner sans un État. Si le Haïti nouveau avait été construit sur un État de droit, soit un ensemble d’institutions capables de rendre justice et de faire respecter les droits et libertés de tous, Roger Lafontant n’aurait pas été en liberté. Ce sont ces institutions, lorsqu’elles sont fonctionnelles, qui protègent les plus vulnérables, éla­borent et exécutent des politiques de création, de gestion et de partage équitable du travail et de la richesse. Les chances de développement augmentent quand l’État de droit est capable de réaliser le projet et la vision d’un gouvernement élu. C’est surtout l’absence de cet État de droit qui a contribué à l’élection de Jean-Bertrand Aristide et à son incapacité de gouverner.

Parce qu’il n’avait que l’espoir pour appâter l’électorat, Jean-Bertrand Aristide, le Sauveur, a été dépassé par l’ampleur de la tâche et des attentes placées en lui. Dépourvu et démuni, il a dérapé. Après lui, des dizaines de candidats ont repris la ritournelle de la foi et de l’espérance. Ces opportu­nistes savent très bien que leurs rablablas et leurs prêchi-prêcha peuvent faire élire mais qu’ils ne nourrissent pas les enfants. Ils les condamnent à demander la charité pour des siècles et des siècles…

Citation suggérée : Frédéric Boisrond, Au nom du peuple et du fric et du sain d’esprit, (Page 13 et 14), Solutions Feed-Back Actif, Laval, Numéro ISBN : 978-2-9814923-0-2, Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Canada (1182415), Canada, juin 2015.

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