Dans cet extrait de « Inconduites, tweets et autres bullshits d’une élite en faillite »,  je vous explique comment, après le tremblement de terre de 2010, la Croix-Rouge canadienne avait dépensé au Québec, l‘argent des donateurs et des donatrices qui voulaient aider à héberger des familles en Haïti. Je vous démontre comment les dons des Canadiennes et des Canadiens avaient servi à sauver une entreprise en difficulté de Montmagny.

Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui avait frappé Haïti, la Croix-Rouge canadienne et l’Agence canadienne de développement international (ACDI) avait mandaté SNC-Lavalin pour inviter une dizaine d’entreprises à soumissionner pour un projet d’hébergement temporaire. L’appel d’offre mentionnait que la durée de vie des unités d’hébergement ne devait pas dépasser 5 ans. Si personne n’avait pris le temps de vous expliquer pourquoi, malgré toute logique, ces entreprises avaient opté pour des abris très temporaires, c’est parce que la réponse est tout aussi niaiseuse que déroutante et plus odieuse que révoltante.

C’est Groupe Laprise de Montmagny, spécialisé dans la fabrication de maisons pré-usinées, qui avait obtenu le contrat de 28 millions de dollars pour la construction de 7 500 abris temporaires destinés aux sinistrés des communes de Jacmel et de Léôgane. Chaque unité mesurait 18 mètres carrés et était composée d’une enveloppe extérieure de contreplaqué et d’une toiture ondulée montée sur une structure de bois. Les abris temporaires étaient conçus pour résister aux séismes et boulonnés jusqu’à un mètre dans le sol pour pouvoir faire face à des vents de 240 km/h, soit l’équivalent d’un ouragan de catégorie 4.

Candidat au Prix Desjardins entrepreneur 2011, le Président du Groupe Laprise, Daniel Laprise, avait rappelé que lorsque cette opportunité d’affaires a été mise sur la table, le marché des maisons pré-usinées roulait au ralenti en raison de la récession qui avait débuté en 2008. Ça, c’était avant d’ajouter que son entreprise avait alors désigné des employés pour identifier des occasions d’affaires, quitte à prendre des projets qui ne cadraient pas avec son concept de fabrication, ses équi­pements et ses outils.

Puisque vous m’avez bien suivi jusque-là, vous avez compris que Groupe Laprise s’était engagé dans une improvisation d’affaires sur un seul thème, la misère des autres.

Les produits livrés par Groupe Laprise sont des abris, pas des maisonnettes. C’est l’équivalent d’un gros cabanon ou d’une grosse cabane à pêche sur glace. Comme une case-nègre, il n’y avait rien entre les 4 murs et le toit. Rien, absolument rien, même pas de moustiquaires aux fenêtres. Rien, même pas de plancher. Oui, vous m’avez bien entendu. Ces abris temporaires n’avaient pas de plancher. Pourtant, ce n’est pas ça qui allait empêcher la Croix-Rouge canadienne de les installer dans des zones inondables et sur des terrains désertiques ou couverts de gravier, des terrains que lui avait fournis l’État haïtien. C’est pas moi qui le dit. C’est écrit tel quel dans des rapports publiés par la Croix-Rouge canadienne.

Maintenant, essayez de comprendre la prochaine absurdité. Conçu pour répondre à une situation urgente, l’essentiel de la commande est arrivé dans le port de la capitale haïtienne au mois de janvier 2011, soit un an après le séisme. Le processus de dédouanement avait duré plusieurs semaines. À cela, il fallait ajouter le transport routier et le temps d’assemblage. Ah oui, j’allais oublier de vous demander d’ajou­ter le temps perdu par l’État haïtien qui avait offert des emplacements avant même d’entamer les procédures légales et juridiques entourant la propriété des fabuleux terrains.

Comme des meubles IKEA, la structure des abris temporaires était pré-percée et aucune coupe n’était nécessaire. Les installateurs avaient reçu des outils et un plan de montage. Une journée, c’est tout ce que ça devait prendre pour installer une unité. Pourtant, l’assemblage avait pris 2 fois plus de temps que prévu. Sans surprise, Groupe Laprise avait mis le blâme sur l’inexpérience des travailleurs haïtiens. C’est vrai ! Mais est-ce que quelqu’un avait pensé à faire venir des Haïtiens à Montmagny pour leur transmettre les compétences appropriées ? Bien sûr que non. On était dans l’urgence. On n’aurait pas eu le temps et patati et patata !

Au début du projet, les calculs avaient permis d’estimer à 8 minutes et demie le temps de production d’un abri temporaire. Mais Daniel Laprise attestait que la performance de son personnel et le système de production s’étaient avérés tellement efficaces que le temps de produc­tion était tombé à 4 minutes et demie. C’est possible. Mais c’est aussi ce qui arrive quand on se précipite pour faire ce qu’on ne sait pas faire. Au net, ça donne des évaluations plus qu’approximatives, des estimations plus qu’imparfaites et des budgets imprécis.

Mais alors, si le temps de production avait été réduit de moitié, est-ce que Groupe Laprise avait révisé ses budgets et réduit le coût unitaire de moitié ? Je l’sais pas. J’me pose la question !!!

Même si la cadence de la production avait été ralentie pour être en adéquation avec la capacité de réception et d’installation en Haïti, étran­gement, ce n’est qu’un an plus tard, soit en août 2011, que Groupe Laprise avait procédé aux premières mises-à-pied à son usine de Montmagny. Surplus de main-d’œuvre, goulot d’étranglement, manque de préparation de la main-d’œuvre, obstacles juridiques, délais de livraison non-respectés, suffisent pour expliquer que ce projet n’était certainement pas l’œuvre d’un visionnaire. Et pourtant !

Pour ses abris temporaires, en janvier 2012, Daniel Laprise avait reçu le prix Le bon coup qui récompense les visionnaires d’affaires. Effec­tivement, si ce projet devait être analysé en tenant uniquement compte des retombées pour le Québec, Il faudrait reconnaitre que Groupe Laprise avait frappé un coup de maître. Par contre, si les Haïtiens s’attendaient à ce que l’aide internationale tienne compte de leurs besoins et serve à relancer l’économie de leur pays, ce projet leur avait démontré sans faille que les véritables retombées économiques étaient des occasions d’affaires pour des entreprises québécoises et la création d’emplois pour des Québécoises et des Québécois.

Cela dit, vous venez de comprendre pourquoi en 2013, sur la base de cette logique, le gouvernement canadien avait intégré l’ACDI au Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. L’ACDI, partenaire de la Croix-Rouge canadienne et du Groupe Laprise, exigeait que tous les programmes qu’elle finançait aient un contenu canadien. Ce contenu canadien, c’était des contrats passés avec des entreprises canadiennes, l’embauche de travailleurs canadiens et l’utilisation de matières premières achetées au Canada.

L’ACDI demandait clairement que le recours à des produits locaux et à la main-d’œuvre locale, soit une solution de dernier recours.

La liste des justifications pour favoriser l’importation de produits étrangers et l’embauche d’expatriés était connue et récitée comme un cantique de monomaniaques. Il fallait dire, avec un air contrit, qu’en Haïti les standards de qualité sont bas et que les travailleurs sont sous-qualifiés. Tout en faisant semblant d’être consterné, il fallait ajouter que la corruption est endémique et que si vous deviez embaucher des Haïtiens à des postes de direction ou de supervision, ils feraient des faveurs à leurs amis et aux membres de leurs familles. Et tout le monde comprendra que c’était ainsi, c’est toujours ainsi et ce sera toujours ainsi qu’on gardera près de 90% de l’aide dans l’économie canadienne.

Dans le cas qui nous concerne, sachez que Groupe Laprise avait aménagé une usine consacrée exclusivement à la fabrication de ses abris temporaires et avait embauché 70 travailleurs à des postes d’opérateurs, d’assembleurs, de manutentionnaires et de superviseurs. La Croix-Rouge canadienne avait pris soin de préciser qu’elle priorisait le bois provenant des forêts gérées de façon durable. Ça tombe bien, Haïti est un pays déboisé. Groupe Laprise avait donc tout le loisir d’opter pour du bois québécois.

Revenons à cette durée de vie de 5 ans. Pour que l’obsolescence soit programmée, la qualité du produit devait l’être tout autant. Autres variables qui pouvaient jouer sur la périssabilité, les abris temporaires devaient être installés loin des termites et du soleil. Évidemment, personne ne savait qu’il y avait du soleil en Haïti. C’est compréhensible et pardonnable. Mais de là à ne pas suivre les recommandations de base du Conseil canadien du bois qui suggère depuis toujours, de toujours utiliser du bois traité afin d’éviter que les structures soient rongées par les termites, il y a une maudite limite à prendre le monde pour des jocrisses.

Revenons aux autres dépenses dans l’économie québécoise. C’est SNC-Lavalin, une firme d’ingénierie québécoise, Ô combien réputée, qui avait été mandatée comme conseiller en chaîne d’approvisionne­ment. C’est cette même firme, Ô combien respectée, qui agissait en tant qu’expert-conseil pour les aspects techniques du produit. Aucune firme haïtienne n’avait été consultée, ne serait-ce que pour obtenir leurs avis techniques sur les réalités du terrain, comme la présence de termites et de soleil.

Dans un rapport publié en 2017, la Croix-Rouge canadienne confirmait avoir embauché 3 000 personnes pour l’assemblage des abris temporaires. D’accord ! Et alors ? En 2010, le salaire maximum versé par les ONG à des journaliers en Haïti, était de 5 $ par jour. À ce compte-là, pour 365 jours de travail, chaque Haïtien qui travaillait pour la Croix-Rouge canadienne avait reçu 1 825 dollars. Pendant ce temps, tout employé du Groupe Laprise qui devait recevoir le salaire moyen de l’industrie de la construction en 2010, aurait empoché environ 32 000 dollars pour la même période.

Ah oui !!! J’allais oublier de vous parler de la résilience des Haïtiens. Mais avant de vous en glisser un mot, est-ce que vous vous rappelez que je vous avais dit que la durée de vie des abris temporaires ne devait pas dépasser 5 ans ? OK. C’est juste pour être certain que je ne vous avais pas perdu en chemin.

Toujours dans le rapport de 2017 de la Croix-Rouge canadienne, plus de 2 ans après leur durée de vie utile, l’organisation ne parlait plus d’abris temporaires, mais de logis. J’ai failli tomber en bas de ma chaise quand j’ai lu que « La Croix-Rouge canadienne a aidé les survivants à reconstruire ce qui avait été détruit lors du séisme de 2010 en fournissant à des milliers de familles un nouveau logis qui respecte ou dépasse les normes d’une zone sismique et résiste aux ouragans ». Pour compléter sa démonstration, la Croix-Rouge canadienne avait vanté la résilience des Haïtiennes et des Haïtiens.

Moins évangélique que l’espoir, plus sexy que le courage, plus chic que la résignation, plus cool que l’abdication, la résilience est un acquit-à-caution qu’on sort de sa valoche pour faire patienter les Haïtiennes et les Haïtiens dans la mélasse pendant qu’on leur apprend à se satisfaire de leur petite misère. Cette chère résilience, un mot-d’esprit qui donne quittance à la conscience, un credo qui adoucit l’indifférence des crocos.

Dans les faits, le projet de construction d’abris temporaires, financé par des donateurs et des contribuables qui voulaient aider les Haïtiens avait servi à dynamiser l’économie de Montmagny. Et comment ! Jean- Guy Desrosiers, qui était alors le Maire de cette municipalité, s’était réjoui des retombées directes du contrat accordé à Groupe Laprise dans l’économie de sa ville. Il avait rappelé que Montmagny était aux prises avec d’importantes difficultés financières suite à la fermeture de l’usine Whirlpool en 2004. Cette multinationale américaine employait plus de 600 personnes qui gagnaient en moyenne 18 dollars de l’heure, ce qui représentait une retombée directe de plus de 22 millions de dollars uniquement en masse salariale annuelle.

Mais, ce qu’on ne vous a pas dit, c’est que plusieurs organisations, dont les Architectes de l’urgence du Canada, avaient vanté les avantages de faire des constructions permanentes. C’est bien pour ça qu’en février 2010, l’industrie québécoise du bois avait proposé d’expédier 2 000 maisons adaptées au climat haïtien et traitées contre les termites. Oui des maisons, des vraies maisons avec des moustiquaires et des planchers.

Préfabriquées au Québec, ces maisons auraient été assemblées par des travailleurs haïtiens. Guy Chevrette qui était alors le Président-directeur général du Conseil de l’industrie forestière, croyait que ce don aurait permis d’héberger au moins 10 000 sinistrés. Il avait demandé aux gouvernements du Québec et du Canada d’assurer les frais de transport et de montage des maisons. Une facture qui devait s’élever à environ 12 millions de dollars. Étrangement, ce projet est mort de sa belle mort.

Maintenant qu’on a fait le tour de la question, vous êtes sûrement tenté d’essayer de comprendre les véritables intentions de la Croix- Rouge canadienne et de ses partenaires. Ne perdez pas votre temps, ils n’ont rien caché. Ils ont tout révélé. Ils ont dit tout haut pourquoi ils avaient opté pour ce projet hautement farfelu. Le problème c’est qu’ils ne pensaient pas que je les écouterais.

Premièrement, le concept développé par SNC-Lavalin et produit par Groupe Laprise, devait être la première étape, sinon un projet pilote, dans l’élaboration d’un produit qui devait être proposé à l’échelle internationale lors de catastrophes. C’est pas moi qui l’invente. C’est l’information qui m’a été transmise par Groupe Laprise le 10 juillet 2012.

Après l’épisode haïtien, SNC-Lavalin et Groupe Laprise ont développé une version améliorée de leurs abris temporaires qu’ils ont offerts dans le cadre de demandes internationales. Pour ajouter du saugrenu à l’insensé, sachez que leur produit n’a pas été retenu. J’ajouterai que s’ils n’ont pas réussi à percer ce marché pour le moins complexe, au-delà de l’irraisonnabilité de proposer des abris temporaires, c’est que ce marché est contrôlé et verrouillé à double tour par des vendeurs de tentes.

Deuxièmement, l’obsolescence programmée des abris temporaires aurait eu pour effet d’accélérer leur taux de remplacement. De là à présumer que le projet d’abris temporaires aurait permis d’ouvrir le marché pour la vente de maisons pré-usinées, il n’y a qu’un pas. De là à imaginer que la désuétude organisée aurait représenté une nouvelle occasion d’affaires pour Groupe Laprise qui serait alors revenu à des projets qui cadrent parfaitement avec son concept de fabrication, ses équipements et ses outils, il n’y a qu’une marche.

Il faut tout de même constater et admettre que si Groupe Laprise, SNC Lavalin, la Croix-Rouge canadienne et l’ACDI avaient offert aux Haïtiennes et aux Haïtiens un produit de si bas de gamme, c’est parce que les dirigeants haïtiens ont été de très joyeux collaborateurs, des quêteux très irresponsables et des pique-assiettes très avaricieux. Ce sont ces pseudo-leaders qui ont permis que soit réalisé dans leur pays, ce projet nul en tout point. Ce sont ces mêmes patenteux qui ont laissé des organisations et des entreprises étrangères profiter de la détresse de leurs concitoyennes et de leurs concitoyens pour transformer une autre opportunité de développement en un autre fiasco sans nom.

Si avec cet exemple de projet d’abris temporaires sans plancher ni moustiquaires, je n’ai pas réussi à vous convaincre que l’aide canadienne est paramétrée pour être dépensée au Canada et qu’elle doit servir à ouvrir des marchés pour les entreprises canadiennes, je ferme les lumières, je coupe le son, je barre la porte, je prends mon trou, je me la ferme pour un bout.

Citation suggérée : Frédéric Boisrond, Inconduites, tweets et autres bullshits d’une élite en faillite, (Page 87 à 93), Solutions Feed-Back Actif, Laval, Numéro ISBN : 978-2-9814923-4-0, Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque nationale du Canada, Canada, janvier 2021.

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