Quelques mois après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui avait frappé Haïti, Gail McGovern, la Présidente directrice générale de la American Red Cross, avait réussi à convaincre Michelle Obama de participer à l’effort pour venir en aide aux Haïtiennes et aux Haïtiens. Celle qui était alors la Première dame des États-Unis se disait emballée par l’idée de prêter sa notoriété à une ONG respectée et respectable. Si seulement elle savait dans quoi elle allait se faire embarquer.

La campagne de collecte de fonds avait débuté le 19 janvier 2010. Dans son Call to action, Michelle Obama disait, « The people of Haiti are struggling just to survive. And every one of us has the power to help ». Résultat, la American Red Cross avait amassé 488 millions de dollars en un temps record. Avec cet argent, la American Red Cross avait promis de sauver 4,5 millions d’Haïtiennes et d’Haïtiens. Mais, dans les mois qui ont suivi, des rumeurs avaient commencé à circuler sur la dilapidation des fonds. La question sur toutes les lèvres, « Where did the money go ? ».

Sur la défensive, Gail McGovern était allée à CBS News pour dire que son organisation avait dépensé 0,91$ sur le terrain pour chaque dollar récolté. Pour donner encore plus de poids à sa déclaration, elle avait ajouté avec un sérieux déconcertant « I’m banking my integrity, my own personal sense of integrity, on that statement ». C’est tout ce que ça prenait pour pousser Justin Elliott de ProPublica et Laura Sullivan de la National Public Radio (NPR) à débarquer en Haïti pour mener une enquête.

Le premier objectif que s’était fixé la American Red Cross était d’endiguer l’épidémie de choléra, ce cadeau empoisonné que l’ex-secrétaire général de l’ONU, Ban ki-moon, avait offert aux Haïtiennes et aux Haïtiens, juste pour les faire chier. Le choléra est ce colis de merde qu’il leur avait fait livrer par des Casques bleus népalais tellement chiants qu’ils étaient devenus emmerdants.

Les journalistes de NPR et de ProPublica avaient découvert que le grand programme d’éradication du choléra mis en place par la American Red Cross consistait à montrer aux gens à se laver les mains avec de l’eau propre et du savon. C’était aussi stupide que ça. Néanmoins, les journalistes avaient découvert que toutes les personnes qui avaient suivi cet ingénieux programme, avaient bien appris leurs leçons. Comble du vaudeville, aucune d’elle n’avait accès à l’eau propre et personne n’avait pensé à leur fournir du savon.

Deuxième objectif. La American Red Cross devait réinventer la commune de Campêche en y construisant 700 maisons équipées de douches, de toilettes et d’un système de récupération d’eau de pluie. Dans la cour, vous deviez trouver une cuisine spacieuse et fonctionnelle. L’architecture devait être exclusive tant elle serait simple et élémentaire. La construction aurait été faite avec des matériaux de niveau inférieur et la durée de vie utile de votre demeure n’aurait pas dépassé 5 ans. Si tout avait fonctionné comme prévu, vous auriez été entouré d’un paysage splendide avec une vue imprenable sur la pauvreté mais aussi sur la mer, de quoi vous donner le goût d’être ailleurs, le goût de sacrer votre camp.

Sur le terrain, les journalistes ont découvert que la American Red Cross qui avait promis de reloger plus de 130 000 personnes, n’avait en fait construit que 6 maisons sur les 700 qui figuraient dans leur plan de travail. Ne soyez pas trop sévère. L’évaluation de la performance de la American Red Cross ne peut pas porter uniquement sur les 6 maisons construites. Il y avait un formidable plan pour échafauder les 694 autres maisons.

La American Red Cross avait dépensé des millions de dollars pour former des milliers d’Haïtiens aux techniques de construction. Ça s’appelle le transfert des compétences. Qui peut être contre quelque chose d’aussi wonderful ? Pas moi. S’ils n’ont pas mis en pratiques les compétences acquises, s’ils continuent à dormir à la pleine lune, s’ils n’ont pas construit les 694 maisons manquantes, c’est parce que ces vaillants travailleuses et travailleurs haïtiens, comme pour le savon, avaient oublié de demander à la American Red Cross de leur laisser en cadeau des outils et des matériaux de construction.

Revenons au grand objectif de Gail McGovern. Avec ses 488 millions de dollars, la American Red Cross croyait pouvoir sauver 4,5 millions d’Haïtiennes et d’Haïtiens. Le problème c’est que toutes les données sur la population desservie avaient été inventées de toute pièce.

Justin Elliott a découvert que les chiffres avancés par la American Red Cross dépassaient, dans certaines communautés, le nombre de personnes qui y résidaient. Pour sa part, Laura Sullivan avait écrit dans son reportage sur NPR News que les 4,5 millions de personnes représentaient la totalité de la population urbaine d’Haïti en 2010. Et moi j’ajoute que si seulement les représentants de la American Red Cross savaient compter, ils auraient réalisé que les 4,5 millions de personnes qu’ils prétendaient avoir aidé, représentaient 40% de la population totale du pays.

Faites le calcul et vous découvrirez que cette ONG qui nous prend pour des épais, voulait nous faire croire qu’il faudrait moins de 110 $ par tête de pipe pour sortir Haïti du sous-développement. On peut toujours nous prendre pour des valises, mais il y a une limite à se faire bourrer. On a peut-être l’air de silos à grains, mais nous ne sommes pas tous bornés de murs aveugles.

Mais alors, where did the money go? Attache ta tuque… ça fa fesser dans l’dash !!!

L’affaire avait pris une telle proportion que le Sénat américain s’en était mêlée. Pour faire mentir Gail McGovern qui disait que son organisation avait dépensé 0,91$ sur le terrain pour chaque dollar récolté, une commission du Sénat américain avait fait ressortir que sur les 488 millions recueillis, la American Red Cross avait dépensé 125 millions de dollars, soit près de 26 % des fonds pour mener des activités de collecte de fonds, payer des salaires à son siège social, des frais d’administration et des frais de déplacement.

Si vous faites le calcul vous conclurez que sur les 488 millions de dollars que Michelle Obama avait sollicités auprès de ses concitoyennes et de ses concitoyens, il ne restait que 363 millions de dollars. Vous vous dites que c’est plutôt 0,74$ par dollar récolté que Gail McGovern avait dépensé sur le terrain. Votre calcul est bon, mais ne rangez pas votre calculatrice. Vous n’avez pas fini de faire des soustractions.

La American Red Cross s’était assurée d’embaucher des Américains. Of course ! Dans la précipitation du moment, l’ONG s’était ramassée avec une gang de tawouins qui n’avait aucune expérience en développement international, des gens qui n’avaient jamais visité un pays en développement et qui de surcroît, ne parlaient pas français encore moins le créole. Bref, ils n’avaient aucune qualification pour se rendre utiles au milieu d’une catastrophe d’une telle ampleur, d’une telle démesure. Et moi je vous dis qu’il n’y a pas plus tawouin que le tawouin qui embauche des tawouins.

Pendant ce temps, vous continuez à me demander where did the money go? Reprenez votre calculette. On va recommencer à pitonner.

C’est entre autres parce qu’elle avait recruté du personnel incompétent que la American Red Cross avait été incapable de réaliser ses propres projets. Elle les avait donc confiés à des sous-traitants. Chaque sous-traitant, d’autres ONG américaines, selon on ne sait quel principe, retenait en moyenne 26% de la valeur de leurs contrats en frais de gestion.

Dans The Guardian du 14 juillet 2017, Alan Yuhas avait décortiqué un contrat de 4 396 956$ que la American Red Cross avait consenti à un de ses sous-traitants pour la réalisation d’activités de prévention de catastrophe. À cette somme il faut ajouter 2 millions de dollars que la American Red Cross avait versés à ce même partenaire pour la gestion des fonds. J’ai fouillé et je vous confirme que le sous-traitant en question c’était la International Federation of Red Cross qui elle aussi, pas plus cave que les autres, avait gardé 26% en frais de gestion sur la valeur du contrat.

Seulement en frais de gestion, sur les 488 millions de dollars, la American Red Cross avait retenu 125 millions. Les sous-traitants s’étaient engraissés d’environ 95 millions. Et c’est là que Gail McGovern a réalisé que l’intégrité sur laquelle elle avait parié, avait perdu toute sa valeur. Loin du 0,91$ qu’elle était allée vendre à CBS News, l’organisation qu’elle dirigeait avait plutôt dépensé moins de 0,55 $ sur le terrain pour chaque dollar amassé.

Au final, il ne restait que 268 millions pour payer des expatriés, ceux-là mêmes qui avaient appris aux Haïtiennes et aux Haïtiens à se laver les mains sans savon et à construire des maisons sans matériaux et sans outils. Et moi je vous dis que la grande stratégie de la American Red Cross était basée sur l’embauche d’expatriés incompétents, ces joyeux tawouins communément appelés… touristes humanitaires.

Where did the money go? Nowhere !!! L’argent n’avait jamais quitté les États-Unis. Il était resté dans l’économie américaine.

Un coup d’œil rapide dans les documents internes de la American Red Cross vous permettra de découvrir que chaque expatrié avait droit à 4 voyages par année pour visiter sa famille aux États-Unis. Quand vous ajoutez les frais d’hébergement, de repas, de transport à leur salaire, vous obtiendrez un total de 140 000 $ par année par touriste humanitaire.

Puisqu’il faut que je me répète… L’embauche d’expatriés est la méthode la plus directe pour que l’aide internationale ne quitte jamais le pays donateur. Puisque je dois le redire, un des objectifs de l’aide internationale est de réduire le chômage dans le pays donateur.

Je vais continuer à vous rebattre les oreilles tant que je ne vous aurez pas convaincu que l’objectif premier de l’aide internationale est de créer des opportunités d’affaires pour des entreprises des pays donateurs. Parce que je ne le dirai jamais assez, je vous rappelle que si la American Red Cross avait fourni du savon, des outils et des matériaux de construction aux Haïtiennes et aux Haïtiens, elle les aurait achetés aux États-Unis. In case you didn’t get my point at some time before now, je vous redis que c‘est ainsi qu’au moins 0,90$ sur chaque dollar amassé aurait été dépensé dans le pays donateur. I’ll keep beating it into your head. Trust me.

Les dirigeants haïtiens dépassés par l’ampleur de la catastrophe, plus incompétents les uns que les autres, n’avaient pas supervisé le travail de la American Red Cross. Personne ne voulait réaliser que cette ONG, reconnue pour l’aide d’urgence, sur le coup de l’improvisation, s’était convertie overnight, en experte en activités de développement et de reconstruction sans jamais consulter les premiers concernés sur leurs besoins réels.

La grande défaite de Gail McGovern, celle qui avait risqué la notoriété de Michele Obama, est survenue le 11 octobre 2016, après le passage du cyclone Matthew sur Haïti. ProPublica avait publié un Tweet disant « Remember what happened in Haïti in 2010 ? When the Red Cross raised half a billion dollars ­and built six homes. C’est ainsi que ProPublica s’était pris pour déconseiller aux Américaines et aux Américains de confier leur argent à la American Red Cross. Cette année-là, les dons de corporations et des individus avaient permis à cette ONG d’amasser seulement 378,4 millions de dollars.

En août 2021, après un tremblement de terre dans le Sud d’Haïti, croyant bien faire, l’actrice Mia Farrow avait publié un tweet pour recommander aux Américaines et aux Américains de faire des dons à la American Red Cross. Elle s’était fait varloper par son public qui lui a rappelé le gaspillage de 2010. Pour confirmer sa mise en échec, Gail McGovern s’était empressée d’annoncer que son organisation ne mènerait aucune campagne de financement pour venir en aide aux Haïtiennes et aux Haïtiens. La American Red Cross n’avait fait aucune mention de cette catastrophe sur son site web. Elle n’avait fait que relayer sur Tweeter, les informations publiées par le International Federation of Red Cross.

Dans les mois qui ont suivi l’enquête de Justin Elliott et de Laura Sullivan, je me suis dit que pour éviter un autre fiasco du genre, la question qui devrait être posée c’est where and how should have the money been spent ?

Si les intérêts des pays donateurs n’étaient pas le principal objectif de leurs programmes d’aide internationale, ils articuleraient le changement sur le transfert de compétences, la structuration de la reddition de comptes et le transfert de fonds directement à des organisations de la société civile haïtienne. Cette position est aussi celle que défend bec et ongle, le journaliste Jonathan Katz qui était sur le terrain en 2010.

Dans le New York Times du 21 aout 2021, la journaliste Michèle Montas avait vanté le travail des organisations de la société civile haïtienne. Elle avait écrit « They don’t make headlines, but these small Haitian organizations are doing the essential work of delivering basic services to residents after disasters ». Imaginez ce qu’elles pourraient réaliser si elles avaient été adéquatement financées.

Et moi, j’ai pris ce long détour pour tenter de vous démontrer que tout ce que la American Red Cross avait promis de faire en Haïti, pouvait être exécuté, à moindre coût, par des Haïtiennes et des Haïtiens à condition que ça réponde à leurs besoins réels. Les compétences acquises en 2010 auraient été utiles en 2021 et pour les autres catastrophes à venir. L’argent serait rentré dans l’économie haïtienne. Tout ça aurait eu un impact positif sur la qualité de vie de quelques millions de personnes.

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